Géronime Tokpo n’a pas accepté le sort réservé à d’autres étudiants auxquels ont été refusé le droit de passer les concours administratifs parce que le Braille ou d’autres adaptations ne sont pas prévus par les textes. C’est là une situation chronique que vivent depuis des lustres de nombreux candidats handicapés. Et les victimes n’ont jamais eu gain de cause auprès des ministres, qu’ils soient chargés de la Justice, des Droits de l’Homme, de la Fonction publique, des Personnes handicapées. Même les associations de défense des droits des personnes handicapées restent impuissantes devant ces comportements discriminatoires. Mais, pour une fois, une étudiante a osé, et son audace a payé. La Cour Constitutionnelle du Bénin, saisie de l’affaire le 8 juin 2011, a rendu le 3 mai 2012 un arrêt notifiant à Géronime Tokpo et aux institutions de la République que le rejet des dossiers des personnes handicapées lors des recrutements est discriminatoire et contraire à la constitution.

Géronime Tokpo est une jeune femme devenue aveugle, âgée de 28 ans, qui prépare actuellement un Diplôme d’Etudes Approfondies en Recherche Droit de l’Homme et Démocratie. « Mon handicap, explique-t-elle, résulte d’un accident médical dû à l’inattention de l’une de celles qui s’occupaient de moi. Comme vous le savez, nous sommes en Afrique et mes parents ont conclu que c’est la volonté de Dieu… Mais, quand mon père a fini par comprendre ce qui s’était réellement passé à la maternité Lagune de Cotonou, et à voulu porter plainte, la mort l’a très tôt surpris… A ce moment, j’avais déjà six ans ». En effet, une employée de la maternité a échangé un flacon de collyre contre un flacon d’acide acétique qui a été versé sur les yeux de Géronime pour prévenir un glaucome ! Géronime a commencé sa vie ainsi, par une erreur médicale renforcée par l’impunité dans les centres de santé et dans les hôpitaux.

Avant d’atteindre le niveau universitaire, Géronime a traversé bien des difficultés. Externe à l’école des Aveugles et Amblyopes de Ségbeya à Cotonou, elle l’a très tôt quittée pour une autre école située à Parakou, au nord du pays, à 450 Km de ses parents, et qui fonctionne sous le régime d’internat : « Ma scolarisation est une providence car ce n’était pas évident que les enfants handicapés de la vue soient inscrits à l’âge de 6 ans à l’école. J’en connais qui ont commencé à l’âge de 15 ans voire 20 ans. C’est une providence parce que j’ai été très tôt orientée. Ainsi, j’ai eu successivement le Certificat d’Etudes Primaires, le Brevet d’Etudes du Premier Cycle, le Baccalauréat et la maitrise à l’Université de Parakou. »

Géronime se souvient des difficultés rencontrées pendant son parcours scolaire : « Les mêmes que tous les enfants de mon âge, précise-t-elle, sauf que j’ai eu des difficultés spécifiques liées à mon handicap auquel l’environnement n’est pas adapté. Au cours primaire, mes difficultés étaient liées à la distance qui séparait mon école du domicile de mes parents. Quand il pleuvait et qu’il y avait inondation, j’allais difficilement en classe. C’est pourquoi j’ai quitté Cotonou pour aller à Parakou. Mes difficultés estudiantines sont liées au manque de documents en braille alors que pour réussir les sciences juridiques, il faut beaucoup lire. C’est grâce à ma détermination et au soutien de mon entourage que je suis presque arrivée, car je souhaite aller le plus loin dans mes études. Le soutien apporté par mes camarades de promotion n’est pas toujours gratuit… Je prenais à ma charge la restauration ou le déplacement pour les séances d’études et surtout de lectures de documents. Ceci a été possible grâce à ma bourse universitaire. »

Lutter pour rien ?

« J’ai suivi le cursus scolaire comme les autres, poursuit Géronime. Pour ce concours de magistrature, je vous jure que je me suis appliquée ! J’ai payé des formations pour mieux préparer le concours. C’est avec l’écriture braille que j’ai obtenu mes diplômes nationaux et aujourd’hui on rejette mon dossier pour le motif que l’écriture braille n’est pas prévue ! Je me suis sentie anéantie, déstabilisée. Quand la situation s’est présentée, j’ai informé tout de suite Maitre Joseph Djogbenou qui est un de mes anciens professeurs, qui a commis un huissier pour contacter les faits, et un recours a été adressé à la Cour Constitutionnelle qui a fini par rendre sa décision en ma faveur. »

Mais comment compte-telle faire après cet arrêt ? « C’est maintenant que le combat commence, et ce qui est intéressant dans cette décision, c’est qu’elle constitue une jurisprudence. Ainsi, ma première action est de réitérer cette décision de la Cour Constitutionnelle à tous les ministères tout en soulignant et relevant les conséquences qui en découlent afin qu’ils prennent des dispositions pour nous éviter dans l’avenir ces situations fâcheuses. J’ai bien envie de tenter une action en réparation civile et demander le franc symbolique pour renforcer ce projet et ranger pour de bon les personnes malintentionnées dans leurs mauvaises entreprises contre les personnes handicapées. Et les faire comparaître devant le juge serait aussi fondamental. »

Lucide, Géronime met son combat en perspective : « Cette victoire n’est pas celle de Géronime, mais de toutes les personnes handicapées. Donc, la lutte n’est pas pour moi seule. Toutes les associations de personnes handicapées doivent se mettre ensemble pour la défense de leurs droits. Déjà, dans cette bataille, je me dois de rendre un hommage à Maître Joseph Djogbenou qui a su m’accompagner. »

La décision de la Cour Constitutionnelle rétablit donc les droits humains des personnes handicapées. Car nul ne peut penser qu’après avoir vaincu toutes les difficultés du cursus scolaire et universitaire, on se voit bloquer la porte de l’emploi et de l’insertion socioprofessionnelle pour le simple motif qu’on est handicapé dans un pays démocratique.

Nassirou Domingo, juin 2012.

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