Emmanuelle Patron a 34 ans. La maladie rare, auto-immune, consécutive à une vaccination qui lui laisse de lourdes séquelles invalidantes, est apparue alors qu’elle en avait 19. Outre une quasi-paralysie qui l’oblige à se déplacer en fauteuil roulant électrique, elle subit un traitement au long cours à base de cortisone, qui a profondément transformé son corps : « J’ai eu un parcours hospitalier long et problématique. On n’a pas pris en compte ma douleur, en me répondant que je prenais déjà trop de médicaments. Mon véritable handicap n’est pas forcément le plus visible. Je n’ai jamais pensé que je pourrais être un jour comme ça, victime d’un racisme à l’embauche, forcée à aller dans des voies qui ne m’intéressent pas, parce que je suis une femme grosse, pas belle, handicapée… Au début, j’ai eu du mal à sortir, les premiers regards me faisaient baisser la tête. J’avais honte, honte d’être différente, honte d’être ce que j’étais. Je n’avais pas, peut-être, accepté cette nouvelle personne qui venait de naître ». C’est par l’intermédiaire de ses chats que le contact s’est noué avec ses voisins, avec les enfants : « J’ai toujours été un aimant à enfants, ils ont toujours été attirés par moi. Je pourrais m’occuper d’enfants, si on me laissait ma chance, mais les petites discriminations au jour le jour m’en empêchent ».

Il lui est arrivé de participer à des animations, des expositions sur des marchés de Noël, où les passants regardaient ses créations (travaux manuels) avec un grand intérêt, avant de s’apercevoir qu’Emmanuelle était en fauteuil roulant : « Là, le regard change, en bien, et ça me plaît, cet échange qui fait que les gens viennent me demander des conseils ». Quand elle habitait Saint-Pierre-les Nemours, qu’elle a dû quitter à cause de la piètre accessibilité et de l’éloignement du bourg, elle travaillait avec les enfants d’une ZUP, assurant soutien scolaire, animation culturelle et travaux manuels. Mais quand il s’est agi de recruter, la ville a préféré prendre un animateur sportif. « Les personnes handicapées sont les moins représentées aujourd’hui. Les débats à la télévision sur la couleur de la peau, l’origine, il y en a plein. Il ne viendrait à personne l’idée de faire jouer le rôle d’un Noir à un Blanc, ou d’une femme par un homme : pourquoi faire jouer un personnage handicapé par un valide, en s’extasiant sur sa composition ? Alors qu’il y a de bons acteurs handicapés »

Au quotidien, Emmanuelle Patron doit gérer également certaines intolérances alimentaires, au gluten et au lactose, ce qui complique les sorties et repas entre amis. Les inconnues liées à sa maladie rare l’ont conduit à profiter de chaque moment : carpe diem est sa devise. Ce qui ne l’a pas empêché de vouloir travailler, et d’avoir une action militante : après avoir réussi le concours de l’Ecole nationale des impôts, elle vient d’être élue au Conseil d’Etablissement comme représentante CGT par ses camarades de formation, affirmant sa fierté d’avoir fait progresser son syndicat en lui faisant gagner un deuxième siège.

Elle habite en Seine-et-Marne, qu’elle qualifie de « département ravitaillé par les corbeaux » pour ce qui concerne le transport des personnes handicapées : « Le service spécialisé Pam 77, créé il y a un an, galère complètement; la plupart des gares ferroviaires ne sont pas accessibles ». Emmanuelle est membre du premier Conseil Régional Consultatif des Citoyens Handicapés, créé par la région Île-de-France en 2005 et qui prépare actuellement le bilan de sa mandature. Des activités qui ont comblé les vides d’une vie affective qu’elle ne veut pas envisager : « Non, parce que pour rencontrer des gens il faut sortir, pour sortir il faut de l’argent et un transport. Je suis fan de cinéma, je m’efforce tous les vendredis d’y aller, mais il faut que je sois rentrée à 22 heures, après je n’ai plus de transport. Ma soirée du Nouvel An s’arrête à 22 heures, ça ne viendrait à l’idée de personne de rentrer à cette heure-là. Je suis femme à temps complet, mais les gens ont encore des a priori, ce n’est pas facile, on est dans un monde d’images. La cortisone a fait de mon corps un Bibendum. Ça la fout mal d’être avec une personne différente, comme naguère d’être avec un Noir ou une personne de petite taille. Les regards, la discrimination, je les subis, mais ai-je le droit de les faire subir à quelqu’un que j’aime ? Longtemps, je me suis interdit d’être femme, parce que si j’étais capable de supporter ça pour moi, j’étais incapable de le supporter pour les personnes que j’aime. Je me suis interdit d’avoir des amis, je me suis interdit d’avoir des enfants. Est-ce que l’homme que j’attends supportera ma souffrance physique, mes cris lors d’une poussée de la maladie ? Moi, je ne supporterais pas son regard. J’ai envie de sortir, d’aller au concert, de mener la vie d’une jeune de 30 ans, alors que j’ai l’impression d’en avoir 60 quand je vois les interdits qui sont là, autour de moi »…

Propos recueillis par Laurent Lejard, décembre 2009.

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