Quand Peggy Martin a voulu un enfant, elle n’a pas considéré que son handicap moteur (une forme d’hémiplégie découlant d’une maladie orpheline) constituerait un problème. Travailleuse, énergique et en bonne santé, elle se sentait capable d’être mère, comme les autres femmes. Le problème est venu des autres : « Il y a toujours un bien-pensant pour dire que c’est fou. C’est un préjugé basique, parce que le handicap est mal connu. Déjà, à la fac, je ne pouvais pas être étudiante et handicapée, mais étudiante ou handicapée. Les gens ont des idées toutes faites; on m’a reproché d’hypothéquer l’avenir de ma fille. Et les parents qui n’ont pas la chance de tomber sur des professionnels ouverts souffrent en silence ». Cette souffrance, Peggy Martin l’a découverte à la suite de la réponse provocatrice d’un agent de la Maison Départementale des Personnes Handicapées de Loire-Atlantique, dont elle dépend; s’étonnant de ce que la Prestation de Compensation du Handicap ne couvre pas l’aide humaine aux enfants nés d’un parent handicapé, elle s’est entendue répondre : « vous n’avez qu’à faire changer la loi ! ». Elle l’a pris au mot, et saisi du problème le député de sa circonscription, Serge Poignant. Depuis, elle a entrepris de recenser les parents handicapés dans sa proximité. Sa surprise fut de taille : alors qu’elle pensait ne trouver que peu de familles, elle en compte 150 sur le territoire du vignoble nantais où elle réside, et 200 dans le sud du département de Loire-Atlantique !

Les témoignages qu’elle a recueillis l’ont à la fois confortée et effarée : « Je pensais être la seule à m’être entendue dire ‘vous n’avez qu’à abandonner votre enfant’ quand je demandais de l’aide; mais bien d’autres parents l’ont aussi entendu ! Je sentais qu’il y avait un voile de honte, je ne m’attendais pas à ce qu’il soit aussi grand. Beaucoup de parents handicapés ont peur qu’on leur retire leur enfant, ils sont sans arrêt obligés de faire mieux que les autres. Au sein du couple, on sent une culpabilité vis-à-vis du conjoint valide, qui supplée quotidiennement la mère ou le père quand il ou elle ne peut s’occuper de leur enfant. Les conjoints sont soumis à rude épreuve, avec un fort taux de séparation par épuisement, malgré l’amour qu’ils se portent encore ».

Dans le foyer de Peggy Martin, c’est son mari, David, qui assure la plupart des soins à Apolline, 16 mois. En plus de son travail d’aidant à domicile, ce qui lui fait des journées très chargées. Peggy bénéficie pour elle de quelques heures d’aide humaine à domicile, et constate ce paradoxe : « Si je tombe, elle m’aide à me relever, mais elle ne peut pas aider ma fille, ni m’aider à m’occuper d’elle ! ». Peggy a néanmoins pu bénéficier, dès la maternité, d’un soutien de la Protection Maternelle et Infantile au titre de la prévention, une approche qu’elle ressent comme infamante bien qu’elle ne l’exprime pas. « Quand ma fille est née, la maternité m’a pris d’office un rendez-vous à la P.M.I sans me demander mon avis… » Mais tous les parents handicapés n’ont pas eu cette « chance », et la plupart ne peut compter que sur la bonne volonté de leurs aidants et de leurs proches.

Peggy Martin veut que ça change. Elle a cherché des associations de parents de parents handicapés, sans résultat. Ses contacts avec des associations de personnes handicapées n’ont pas suscité d’intérêt de leur part. Alors elle espère mettre en réseau via Facebook les parents concernés, pour diffuser trucs et astuces, conseiller pour obtenir des aides : elle y a créé un groupe « handiparentalité échange et partage« . Elle envisage également de remettre à son député le résultat de son recensement et un recueil de témoignages de parents handicapés, pour faire bouger les choses. Elle sait bien que l’aide à la parentalité devrait être introduite dans la réforme de la Prestation de Compensation du Handicap annoncée dans le cadre de la création du 5e risque dépendance, la Secrétaire d’Etat à la solidarité vient encore de le rappeler récemment à l’Assemblée Nationale. Initialement annoncé pour début 2009, l’examen du projet de loi sur le 5e risque a été renvoyé à 2010, sans compter le délai nécessaire pour l’élaboration des décrets d’application et circulaires de mise en oeuvre… si ces textes paraissent ! Mais on a fait comprendre à Peggy Martin que si les parents se mobilisaient, cette échéance improbable pourrait se rapprocher. Parce que durant l’inertie des pouvoirs publics, les enfants grandissent…

Laurent Lejard, juin 2009.

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