Question : Quel a été votre parcours personnel et professionnel ?

Didier Bouteiller : Je suis devenu subitement paraplégique en 1974 par une cause indéterminée, à l’âge de 11 ans lors d’une séance de gymnastique. J’ai vécu les difficultés que connaissent les personnes en situation de handicap. À l’époque, les conditions de vie étaient particulièrement difficiles, même si elles le sont encore. J’ai suivi une scolarité par correspondance, le collège de Rouen où nous vivions alors ne voulait pas accepter un élève en fauteuil roulant. Après le baccalauréat, j’ai suivi des études de droit à la faculté de Rouen, avec beaucoup de difficultés, puis travaillé dans une société d’assurances pendant un an et demi, jusqu’à ce que j’obtienne un emploi réservé administratif à l’Education Nationale. Il y a quelques années, j’ai poursuivi l’Administration pour discrimination à l’occasion d’un changement de poste : en 2004 on m’a refusé un poste intéressant en invoquant une inaccessibilité qui pouvait être résolue. L’Administration a été condamnée à une indemnisation symbolique avec injonction de me nommer au poste postulé, nomination à laquelle j’ai finalement renoncé : être nommé de cette manière, en éjectant un autre agent, ne créait pas les meilleures conditions pour travailler. Tout ça pour dire que l’insertion professionnelle n’est pas un long fleuve tranquille…

Question : C’est ce qui vous a conduit à vous engager dans la vie publique ?

Didier Bouteiller : Vu les difficultés auxquelles chaque personne handicapée est confrontée, je me suis engagé dans l’associatif, et au début des années 1980 inscrit au Parti Socialiste. En 1989, j’ai rencontré le maire du Grand Quevilly, Tony Larue, pour le solliciter. Il était tout à fait ouvert à prendre une personne en situation de handicap sur sa liste, en position éligible, et j’ai été élu. Je me suis intéressé à l’aménagement de la ville, aux travaux, à tout ce qui facilite l’accessibilité. Avec les réticences des techniciens. Même aujourd’hui, ils ont du mal à se rendre compte de ce que représente 1 ou 2 cm en trop, je crains que ça reste un combat à mener. Lors de rénovations, la mise en accessibilité est obligatoire sauf lorsqu’une dérogation est demandée. Mais très peu de communes font la démarche, d’autant qu’en matière de voirie il n’y a pas de contrôle. Dès lors qu’on ajoute des contraintes à un service technique, on est un empêcheur de tourner en rond. Quelqu’un en charge du handicap, c’est nécessaire mais pas toujours agréable, il faut bousculer les gens. Lors d’une réalisation, prendre en considération les personnes en situation de handicap n’est pas entré dans les moeurs, il faut être là pour insuffler, vérifier, se tenir au courant pour ne pas revenir sur les travaux. Même si au fil du temps les choses se sont améliorées.

Question : Après bientôt 30 ans de mandat, quel regard portent les autres élus sur le « conseiller à roulettes »?

Didier Bouteiller : 
Ça dépend des interlocuteurs, certains vont me voir comme n’importe quel autre conseiller, d’autres non. Vis-à-vis des maires qui se sont succédés, ce n’est pas ça, ils se sont dits satisfaits de ce que j’ai fait. La présence d’une personne en situation de handicap est utile dans un conseil municipal. Ce que je recherche, c’est une véritable inclusion. Par exemple, pour que les événements publics soient accessibles à tous, personnes en situation de handicap comprise, la ville a fait l’acquisition d’une plate-forme mobile pour accéder à un podium ou une estrade. J’ai également fait installer un siège de mise à l’eau à la piscine.

Question : Comment décririez-vous le profil de Grand Quevilly et ses équipements publics ?

Didier Bouteiller : Grand Quevilly a peu de rues pentues et beaucoup d’équipements récents, le Zénith, le parc des expositions, le tram rénové. Il y a quelques années, ses rames ont été changées et il s’en est fallu de peu qu’il ne soit plus accessible. Heureusement, je me suis retrouvé dans une réunion pendant laquelle Alstom a présenté trois scénarios dont un censé respecter la réglementation, sauf qu’il n’assurait pas une bonne accessibilité. Face aux ingénieurs, il n’a pas été simple de le démontrer, jusqu’à ce qu’un prototype en bois soit présenté aux associations qui l’ont testé. Les rames ont été modifiées pour qu’elles soient effectivement accessibles, les ingénieurs ont réussi à le faire, elles devaient circuler sur des installations existantes sans modifier les quais. Mais cela a nécessité un courrier du maire de l’époque, Laurent Fabius, et à partir de ce moment, les choses ont changé. Quand la ville s’occupait, jusqu’en 2015, de la voirie, je veillais à ce qu’il y ait des contrôles réguliers. Et l’avantage, c’était que les travaux étaient rapidement réalisés. L’accessibilité d’une ville est un combat permanent !

Propos recueillis par Laurent Lejard, juin 2018.

Partagez !